Même fait de présence en pointillés et de fumée, il représentait une divinité... qui par le miracle des relations m'était devenu abordable...
Bouche charnue et bivalve, en accolade harmonieuse, égrenant parcimonieusement quelques sourires nacrés.
Grands yeux pharaoniques, aux sombres déclinaisons piquées d’ambre dans lesquels étincellait une pointe d’ironie à peine hâbleuse.
Large front au calme hautain.
Du rythme lancinant, de son visage tour à tour brumeux ou éclairé, laissant planer souvent une ombre ambiguë, à celui à peine plus indolent de sa démarche, jusqu’à cet air toujours préoccupé, loin de tout, cette maladresse à pratiquer ou aborder la technique, cette distraction éolienne qui semblait un vertige étourdi, cet indélibéré vacillant, instable, ce dandysme fait de délicate gestuelle, d’élégance de port et d'androgynie...
Il m'était l'exégète dialecticien à l'intelligence brillante, à l'érudition facile, assortissant parfois son discours de sophismes étranges et sibyllins avec cet humour à demi sérieux, dont il mesurait chaque envolée avec une assurance inébranlable…
Cette volonté, aussi de ne pas succomber à l’idée pourtant louable de voir les choses en face, de ne pas se frotter aux vérités tapageuses…
Le charisme était dans le discours mais pas seulement, il y avait aussi la musique d'une voix grave et dolente, capable d'essor triomphants et de retombées subites, de glissendis emprunts de malice, où sourdait parfois un absolutisme maniéré...
Je l'observais, l'écoutais de loin. Par un phénomène d'osmose inversée, ses discours l'épaississaient, et m'amenuisaient à l'extrême... Ses dérapages même revêtaient une telle noblesse, qu'ils déléguaient à d'autres le soin de sa honte...
Entre nous, ni guerre, ni paix jamais. Rien que des pensées supposées et des mots, toujours (pour lui c'était à peine une occupation parmi d'autres), une suite d'échanges parfois impétueux, soumis aux limites tranchantes de l'expression et à l'image qu'elle enfante.
Par une tranquille indifférence, quelques rebuffades et une condescendance affectueuse, il m'était devenu la personnification d'un vitrail et je m'amusais à tenter de découvrir la fêlure par où immiscer un peu de tendresse. J’utilise
encore parfois ses mots, ses gestes, par jeu, comme on touche un symbole afin d’en éprouver une nouvelle fois la magie...
Mais aujourd'hui, plus que sa présence, je déplore la perte des sensations que m'inspiraient les qualités, la personnalité, l'iridescence que je lui concédais... et qui veillent encore dans un coin de mémoire, prétextes aux appels nostalgiques de quelques pensées à la beauté moribonde...
Sujet: Iridescence... 
